L’éveilleur de conscience
Après plus de cinquante ans de carrière et une participation à d’innombrables projets de films, le réalisateur Richard Lavoie, figure de proue du cinéma direct québécois, est bien loin de penser à prendre une pause. Alors qu’il présente actuellement son tout récent film sur l’art, Aristide Gagnon – Le 8e jour, le cinéaste de Québec confie déjà songer à son prochain projet cinématographique. Dans le cadre de la grande première de son nouveau documentaire portant sur l’artiste Aristide Gagnon, un pionnier du bronze d’art québécois, il a généreusement accepté de s’ouvrir sur son parcours des plus inspirants.
Au cœur du quartier Limoilou qui l’a vu naître, la demeure de Richard Lavoie regorge de souvenirs soigneusement sélectionnés et évoquant la réalisation de ses différents films. En préparant deux cafés allongés, le cinéaste brise la glace en parlant de ses enfants, dont il est visiblement fier.
« J’ai cinq enfants et ils sont tous partis avec leurs sacs à dos, pour découvrir le monde. Tu sais, ce que tu leur donnes lorsqu’ils sont petits, ça les poursuit, ça les motive, ça les encadre. »
Aujourd’hui, quatre d’entre eux travaillent dans le milieu du cinéma. Richard Lavoie a lui-même fait ses premières armes dans le métier auprès de son père Herménégilde, un des premiers cinéastes québécois. Dès l’âge de 13 ans, son père l’envoie régulièrement seul à New York pour effectuer les tirages couleur de ses films, faute d’une technologie assez avancée au Québec. Ce n’est que plus tard, dans les années cinquante, que le traitement couleur 16 mm et le mixage sont inaugurés à Montréal.
Parallèlement à cette formation sur le terrain échelonnée sur plusieurs années, le jeune Lavoie poursuit des études classiques et fréquente même le Conservatoire de musique de Québec, où il étudie le cor français. Plus tard, son père tente vainement de le convaincre d’entreprendre des études universitaires.
«Il m’a envoyé voir Georges-Henri Lévesque, le fondateur des sciences sociales, pour qu’il me guide. Mon père était convaincu qu’il n’y avait que cet homme pour me dire quoi faire dans la vie. Alors je l’ai rencontré mais finalement, il m’a dit : tu n’as pas besoin d’aller à l’université avec tout ce bagage et ces expériences. Continue! (rires). »
Tout passionne Richard Lavoie, mais le cinéma l’habite à un tel point qu’il raconte qu’à dix ans déjà, il savait que sa vie serait consacrée au septième art et ce, dans le but d’être utile à l’humanité.
« Oui, c’était très clair. Nous étions catholiques et le sens de la mission était fort dans ce temps là. Je sentais que j’avais une responsabilité vis-à-vis l’humanité. Moi, ça me prenait une vocation et mes parents voulaient que je devienne prêtre. J’étais l’ainé et je réussissais bien à l’école alors je devais devenir le prêtre de la famille, ça fonctionnait de cette façon à l’époque. Donc, je me suis trouvé une bien meilleure mission qui me donnait toute liberté! (rires).»
DÉCOUVRIR LE MONDE : SES MISÈRES ET SES BEAUTÉS
En 1957, alors qu’il n’a pas encore 20 ans, Richard Lavoie quitte le Québec pour aller tourner un film à Cuba, en pleine révolution castriste. Envoyé par son père, il doit filmer l’implication de la communauté des Sœurs-Servantes-du-Saint-Cœur-de-Marie de Beauport dans leurs missions, en périphérie de La Havane. Là-bas, il est témoin de scènes horribles, mais c’est à regret qu’il quitte l’île, conscient d’avoir vécu un important moment d’histoire. Aussitôt, le jeune réalisateur se dirige vers Haïti où, devant tant de misère humaine, il se sent finalement incapable de tourner. Toutefois, le séjour l’amène à voir la vie autrement.
Ressentant de plus en plus le besoin de suivre sa propre voie, il entreprend seul plusieurs autres voyages à l’étranger; Europe de l’Est, France, Angleterre… À peine le cap de la vingtaine franchi, Richard Lavoie se retrouve en Russie et en Ukraine où il tourne en direct un film sur la condition des femmes dans l’ex URSS. Toutefois, lors de son passage à la frontière entre la Biélorussie et la Pologne, les douaniers confisquent au jeune homme toutes ses bobines, à son grand désarroi. Sans son film, il quitte l’URSS à bord du célèbre train Orient-Express qui l’amène à découvrir Paris pour la première fois. À ce jour, Richard Lavoie se souvient d’être allé d’innombrables fois en Europe.
«J’avais toujours quelque chose à y faire, une tournée, un film… alors finalement, j’y allais presqu’à tous les ans. J’allais me nourrir un peu et m’apercevoir que nous sommes bien au Québec (rires) ».
De son propre aveu, le réalisateur s’est également découvert, dans le courant des années 1980, un amour inconditionnel pour l’Afrique.
« J’y ai été à quatre reprises et j’ai eu la piqure. Une fois, c’était pour tourner le film Comment Samba devient vice roi. J’ai tourné ça pour Daniel Bertolino, dans la précarité la plus extrême. J’ai aussi voulu faire une série qui s’appelait Contes modernes d’Afrique mais là, je ne pouvais pas le faire seul alors je me suis associé au réalisateur sénégalais Moussa Touré. Finalement, le projet ne s’est pas réalisé.»
Son film Comment Samba devient vice roi vaut à Richard Lavoie, une nomination au Prix Gémeaux en 1987 ainsi qu’une Mention Très Spéciale à Vues d’Afrique en 1988, pour sa sensibilité à la culture africaine.
RENÉ LÉVESQUE, LE MENTOR
En 1962, à l’âge de 24 ans, Richard Lavoie planifie un long voyage de noces en Europe de l’Ouest avec sa nouvelle épouse, l’artiste sculpteure Danielle Roux, avec laquelle il aura trois enfants. Avant de partir, Richard Lavoie s’assure de pouvoir gagner sa vie à leur retour en concluant un contrat avec le Ministère des richesses naturelles du Québec, alors sous les commandes de René Lévesque.
« Ma femme et moi avions tous les deux demandé des bourses. Elle en a reçu une, mais pas moi. J’avais quand même un peu d’argent et on s’est dit : on part pareil! Nous sommes partis avec 3 000$ et nous avons vécu près d’un an avec ce montant. À notre retour, je voulais être certain que du travail m’attendait. »
À l’époque, la carte géologique du Québec est en cours d’élaboration et il y a pénurie de géologues dans la province. Conscient du contexte particulier et de l’opportunité qui en découle, Richard Lavoie écrit un scénario visant à promouvoir la carrière de géologue et présente son idée de film au ministère. Cependant, son jeune âge ne rassure point et son projet est refusé.
« Alors, je me suis retrouvé au bureau du secrétaire du ministre et je me suis battu comme un damné. Je partais pour l’Europe et je voulais travailler en revenant. C’était mon premier contrat vraiment lucratif. J’avais écrit un beau scénario. Finalement, des géologues du ministère l’ont lu et trouvé magnifique. Donc un jour, Pierre-F. Côté m’appelle pour me dire que monsieur René Lévesque veut me voir. Il me demande si je veux apporter des films et les présenter dans la semaine suivante. Je lui dis oui, n’importe quand. Je suis arrivé là avec un projecteur et des films. J’ai passé l’après-midi avec René Lévesque, alors qu’il préparait la nationalisation de l’électricité. Il travaillait sur ce projet avec des sommités telles que Michel Bélanger. Alors moi, ti-cul avec mon projet, je me ramasse à lui présenter mes films pendant un après-midi. Il les regarde, il aime ça, on discute, on rit. Je sors de son bureau et à partir de ce moment là, j’ai fait cinq films pour ce ministère. »
À l’époque, le studio de Richard Lavoie est aménagé dans une ancienne église de Limoilou, où le ministre des richesses naturelles vient, à quelques reprises, constater l’évolution de son travail.
« René Lévesque respectait ma créativité. Il me laissait une liberté totale. Il arrivait dans mon studio et parfois, il y avait des confrontations. Lui était journaliste donc, il avait une approche plus analytique. Moi, j’avais une approche plus philosophique, plus poétique, mais il avait l’intelligence de comprendre ça. Alors nous avions de belles prises de becs. Tellement que son secrétaire Pierre-F. Côté qui l’accompagnait dans mon studio m’a dit un jour : « Richard, t’es vraiment pas poli, ça n’a pas de bon sens ».
Aux dires du réalisateur, les précieux encouragements de René Lévesque ont conditionné la suite de sa carrière.
«Cette histoire là est très importante parce que ça démontre comment un seul contact humain peut avoir une grande importance dans une vie. Ça m’a permis d’engager du monde et de travailler peu à peu, sur des projets plus ambitieux. René Lévesque m’a fait confiance, malgré mon jeune âge. »
En 1974, Richard Lavoie réalise Franc-Jeu, le film officiel sur la Super Francofête pour l’Office du Film du Québec. Toutefois, l’OFQ censure des passages et retranche une heure à son long métrage, sans son consentement. Le cinéaste intente une poursuite contre l’État, pour atteinte au droit d’auteur.
« J’ai gagné ma poursuite, mais ensuite, j’ai perdu les commandites de l’État. Ils m’ont mis sur une liste noire, mais cela m’a permis de développer d’autres projets plus personnels, pour la télévision. »
LES BEAUX-DIMANCHES À RADIO-CANADA
Après avoir collaboré plus d’une dizaine d’années avec l’État, Richard Lavoie commence à travailler avec la télévision et plusieurs de ses films sont diffusés à l’émission Les Beaux Dimanches, à Radio-Canada.
« Il y a eu Voyage en Bretagne intérieure, La Cabane, Pourquoi c’est faire?, Herménégilde, vision d’un pionnier du cinéma québécois 1908-1973…en tout cas, je ne peux pas te nommer tous mes films qui sont passés aux Beaux-dimanches. »
Richard Lavoie évoque un souvenir de la sortie de son film pour enfants La Cabane.
« La Cabane était un film tellement novateur pour l’époque. J’avais toute une philosophie de l’éducation dans ce film et c’était vraiment contraire à tout ce qui se faisait dans le cinéma pour enfants. Habituellement, il y avait toujours un jugement adulte qui était porté sur eux à la fin. Il y avait une morale et on leur réglait le cas. Moi, je faisais exactement le contraire et ça remettait en question les réalisateurs de Radio-Canada. Quand ils ont vu le film, ils se sont dit : « quessé ça? ». On a qualifié La Cabane de film de gauche pour enfants. Pour sa sortie, ils m’ont demandé par qui je voulais être interviewé et j’ai choisi Guy Sanche. Alors quand le film est passé aux Beaux-dimanche, Guy Sanche me posait des questions là-dessus, sur ma démarche philosophique et mon approche.
J’ai exploité ce filon là dans plusieurs de mes films. Pour moi, l’autonomie des enfants, c’était quelque chose d’important. Je vois que c’est payant aujourd’hui, parce mes enfants sont heureux et équilibrés. Je voulais les responsabiliser très tôt, ce que j’avais moi-même vécu et beaucoup aimé. Parce que, finalement, toute la vie est une histoire de responsabilisation et mon cinéma n’est pas loin de ça. J’essaie de responsabiliser la société à l’existence de quelque chose qui est extrêmement essentiel comme un quai de village par exemple. Finalement, je continue sur cette même démarche. »
LE STUDIO DE TEWKESBURY – UNE PLAQUE TOURNANTE
Dans les années 1960, à Tewkesbury près de Québec, Richard Lavoie fait l’acquisition d’un grand terrain comprenant quelques bâtiments, dont une ancienne école qu’il rénove lui-même et transforme en studio où il offre une large gamme de services de postproduction. Des réalisateurs viennent d’un peu partout et même de l’étranger pour y terminer leurs films. Richard Lavoie fournit également le logement aux visiteurs, ainsi que les balades à cheval et la baignade dans la rivière Jacques-Cartier qui borde le terrain. L’endroit devient une véritable plaque tournante pour le milieu du cinéma.
À quelques pas du studio se trouvent également la fermette et la maison familiale, où Richard Lavoie élève ses enfants pendant une quinzaine d’années. Ceux-ci participent d’ailleurs à plusieurs de ses projets, apprenant à leur tour, par immersion, les rudiments du métier.
« À Tewkesbury, c’était aussi toute la phase des films pour enfants : Guitare, Une drôle de ballade, La Cabane… J’ai élevé mes enfants là-bas pendant environ 15 ans.»
Puis un jour, survient la séparation avec sa femme Danielle. Désemparé, Richard Lavoie se retrouve seul avec la garde de ses trois jeunes enfants.
« À ce moment, j’ai compris que je devais être très présent pour mes enfants et j’ai décidé une fois pour toute dans ma vie, que les fins de semaine leur appartiendraient complètement. »
Richard Lavoie aura deux autres compagnes de vie et deux autres enfants, en plus d’une jeune fille qu’il adoptera, alors qu’elle est âgée de dix ans.
LES VALEURS PERSONNELLES AVANT LA STABILITÉ FINANCIÈRE
Pendant une brève période, Richard Lavoie devient enseignant au programme de cinéma, à la faculté des lettres de l’Université Laval. L’expérience lui apporte notamment, une nouvelle stabilité financière. Bien qu’il entretienne de bonnes relations avec Roland Bourneuf, François Baby et Paul Warren, de réputés professeurs au département, le réalisateur a du mal à se sentir à sa place dans ce milieu.
« J’ai passé une année à enseigner, j’aurais pu faire une carrière là si j’avais voulu, tout comme j’aurais pu être engagé à Radio-Canada ou à l’ONF. J’avais toutes ces entrées là. Un jour, on m’a demandé de donner des ateliers pratiques pour ancrer les étudiants dans le réel. Je leur faisais faire des tournages, de l’improvisation, etc. Mais sur 50 étudiants, il y en avait 10 qui suivaient et 40 qui voulaient uniquement de la théorie, des notes, pis des diplômes. Je n’étais pas heureux là-dedans. J’étais mal sous les néons et je trouvais que j’étais trop payé pour ce que j’avais à faire. Je trouvais que trop de jeunes visaient uniquement la rentabilité immédiate. Tu sais, la rentabilité de notes, de résultats, de n’importe quoi…toujours la rentabilité. »
Néanmoins, le cinéaste en retire des éléments positifs et, encore aujourd’hui, il lui arrive de croiser d’anciens étudiants qui lui rappellent avoir bénéficié de son cours.
UN «GARS DE TERRAIN»
Vers la fin des années 1980, Richard Lavoie réalise le documentaire Le trou du diable, un long-métrage reconstituant la découverte de la plus grande grotte du Québec, avec une équipe de spéléologues qui communiquent leur passion. « Leurs recherches donnent finalement accès à trois kilomètres de galeries plus vierges que l’Amazonie, sous la ville de Boischatel ». [19] En 1992, le cinéaste remporte le 1er Prix du National Speleological Society of USA (NSS) pour ce film des plus audacieux.
En 1994, Richard Lavoie réalise son documentaire Rang 5, véritable incursion dans le quotidien de familles d’agriculteurs de la région de Lanaudière. La même année, le film remporte le Prix du meilleur long-métrage québécois de l’Association des critiques de cinéma, toutes catégories confondues. Aujourd’hui, ce film est reconnu comme une des œuvres marquantes du réalisateur. Le documentaire démystifie le milieu agricole, souvent méconnu du large public. Il aborde notamment « la conquête et la mondialisation des marchés, les questionnements sur le chimique et le virage biologique, l’inquiétude environnementale sur l’avenir de la planète, la responsabilisation des consommateurs, etc. »
« J’avais l’instinct qu’il fallait que je travaille là-dessus alors j’ai acheté une maison dans le rang 5, à Saint-Liguori dans la région de Lanaudière. Le film n’est pas innocent, il vient d’une connaissance sur le terrain. Tu ne peux pas faire un bon film si tu n’es pas initié alors, je me suis initié. »
Ainsi, les familles présentées dans le film s’avèrent à l’époque, les voisins de la famille Lavoie. Durant cette période « lanaudoise » qui s’échelonne sur plusieurs années, le cinéaste tourne un total de six films sur le monde agricole, dont deux en France.
Puis vient l’idée du film Le Temps des Madelinots qui dresse un portrait sensible d’une société au caractère insulaire confrontée à de nouveaux enjeux planétaires.
« À un moment donné, je suis également déménagé aux Îles de la Madelaine et j’y ai tourné ce long-métrage. J’y ai acheté une maison et je l’ai rénovée pendant 10 ans. Je suis un gars de terrain dans l’fond. »
Le Temps des Madelinots est nominé deux fois aux Prix Gémeaux de 2006, dans les catégories « meilleur documentaire » et « meilleure direction photographique ».
L’AVENTURE « QUAIS-BLUES »
En 2008, Richard Lavoie revient vivre à Québec. Il commence à travailler sur son nouveau projet, Quais-Blues qui nécessite trois ans de recherche et de réalisation. Le film traite de la disparition tragique de nombreux quais de villages situés le long du Fleuve St-Laurent.
« J’avais trouvé deux producteurs à l’ONF qui étaient enchantés par ce projet, mais à un moment donné, Monique Simard est arrivée. C’était l’ancienne Vice-présidente de la CSN et elle arrivait comme nouvelle directrice du studio français de l’Office National du Film. Pis là, elle a fait le ménage. Un des premiers projets qui a pris le bord, c’est mon film Quais-Blues. Mais moi, ma recherche était faite et c’est ma fille Geneviève qui a repris le projet en me disant : papa, tu vas le faire ton film. C’est finalement sa compagnie les Productions Des Années Lumière qui l’a produit. »
Une autre de ses filles, Valérie, l’assiste dans la réalisation du film.
«C’est avec elle que je fais les films actuellement. Quais-Blues a été une aventure père et fille, c’était nouveau pour moi. Ça nous a ouvert bien des portes et cela a beaucoup aidé au ton du film, parce que nous entrions différemment dans l’intimité des gens. Le soir, on mangeait ensemble et on reculait notre véhicule en plaçant notre grande fenêtre vis-à-vis la mer. Écoute, ça ne fait pas un film insensible. Pis moi, je suis un timide. Le premier contact avec les gens est difficile. Je vais aller m’asseoir autour d’une table et je vais me taire parce que j’ai de la misère à juste jaser. Quand je tourne un film, l’apprivoisement prend un certain temps. Une fois que c’est fait, je ne sais pas trop ce qui se passe, mais j’attire le monde. Les gens me regardent, ils me sourient, ils m’aiment, alors ça aide. Pour moi, cette chimie là, si tu ne l’installes pas, il ne peut pas y avoir de film. Ma signature, elle est là. »
Cette signature personnelle mettant l’emphase sur la dimension humaine, à travers le drame que vivent plusieurs riverains, est particulièrement frappante dans Quais-Blues qui comporte des scènes émouvantes. Tel un cri de désespoir, le film en appelle à la mobilisation pour que le Gouvernement fédéral, propriétaire des quais, investisse rapidement dans ces infrastructures maritimes laissées à l’abandon, malgré leur importance aux niveaux économique, touristique et communautaire.
En dépit des murs d’indifférence qui subsistent, notamment dans ce dossier, Richard Lavoie souhaite et cherche encore et toujours à être utile par le biais de ses films. Beaucoup de travail reste à faire, mais à ce jour, Quais-Blues aura permis d’enclencher des processus; depuis la sortie du film, les quais de Pointe-aux-Loups (îles de la Madelaine), de Sainte-Flavie (Gaspésie) et de L’isle-Verte (Bas-Saint-Laurent) ont bénéficié d’un investissement du fédéral. Toutefois, l’histoire est encore à suivre…
UN HOMME HEUREUX
Et le bonheur dans tout ça?
« Je suis très heureux. Écoute, j’aime le monde et il y a plein de gens qui m’aiment autour de moi. J’ai eu des problèmes de santé, mais c’est rien. Je fais ce que je veux dans la vie et je me suis amusé comme un fou. Je suis content de ma vie parce que je l’ai remplie, je n’ai pas arrêté de la remplir. »
En dépit d’une propension certaine pour le bonheur, Richard Lavoie admet néanmoins éprouver quelques regrets.
« Oui, j’ai des regrets. Je regrette d’être passé à côté de plein de choses et d’avoir été ignorant. Les questions sont tellement plus importantes que les réponses… Plus nous allons loin et moins nous avons de réponses. Le grand regret de ma vie, c’est de ne rien savoir et ne rien connaître, malgré tout ce que j’ai vécu. »
En 2009, le Conseil des Arts et des Lettres du Québec lui décerne sa prestigieuse bourse de carrière, soulignant ainsi son importante contribution à la vitalité de la culture québécoise. Depuis plus de cinquante ans, le réalisateur s’offre la liberté d’inventer une manière unique de faire du cinéma. Avec acharnement, il se fait le porte-parole des « sans voix » et persiste à mettre en lumière une multitude de sujets et de personnalités trop souvent négligés par les médias, mais toujours en portant ce regard à la fois sensible, anthropologique et humaniste qui fait sa renommée. Près de soixante-dix ans plus tôt, le jeune Lavoie s’était donné la mission d’être utile à l’humanité à travers ses films. Aujourd’hui, considère-t-il y être parvenu?
« Ah ben oui. J’ai été éveilleur de conscience. Toute ma vie, les films que j’ai réalisés ont ouvert des portes. J’ai été un passeur… Ça, j’en suis content. »
Propos de Richard Lavoie recueillis le 13 août 2016, par Caroline Houde.