LE FIL DE L’HISTOIRE
Il y a 30 ans, dans la nuit du 16 décembre 1990, LE NADINE, un chalutier propriété de Madelipêche, terminait son 15e voyage avec à son bord le capitaine Robert Poirier, 7 marins pêcheurs et Estelle Laberge, une biologiste d’Océans Canada en devoir. Seuls le capitaine et son frère Serge en sont revenus vivants. Pourquoi?
Encore aujourd’hui, on s’interroge sur les causes du naufrage. Outre des mesures de sécurité inadéquates et le manque de formation de l’équipage, les enquêteurs du fédéral et le coroner Jacques Bérubé ont identifié de graves défectuosités au navire, un moteur qui s’emballe à reculons n’étant pas la moindre. Aucun des pêcheurs n’a pu enfiler dans les temps requis son habit de survie « one size fits all ». Sauf le capitaine. On le lui a reproché d’ailleurs. Les autres moururent d’hypothermie, deux d’entre eux dans les bras du capitaine qui les a soutenus pendant 9 heures en dérivant sur 20 kilomètres. C’est le capitaine Adrien Duguay qui a dérouté son bateau depuis Terre-Neuve pour venir à la rescousse. Aux Îles, tous les capitaines de Madelipêche, à quai, attendaient l’autorisation d’aller répondre au signal de détresse de leurs frères. La Garde côtière des Îles, mal équipée pour les mesures d’urgence en mer, recueillait au petit matin Serge Poirier, empêtré dans sa combinaison, qu’une vague salvatrice avait projeté dans le radeau de sauvetage quasi immergé.
« On a accusé les morts », dit le capitaine qui souffre du syndrome du survivant. On a laissé croire que l’équipage n’avait pas bien fait son travail, occultant les irrégularités qui avaient été signalées à maintes reprises aux armateurs. Hilaire Poirier, 5 ans chef ingénieur à bord du NADINE, l’atteste. Guy Bourgeois, habituellement du voyage, confirme les risques encourus plusieurs fois en mer par l’équipage. « Des marins dans l’âme », dit-il. Ils se savaient tous en danger. Mais c’était leur travail et ils l’aimaient.
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L’omerta qui sévit sur les Îles à cette époque n’a pas permis d’en dévoiler davantage. Le temps a fait son oeuvre; des langues se sont déliées et ont mis des mots sur la souffrance des survivants. « Ils se foutaient de nos hommes… comme s’ils n’étaient pas de bons pêcheurs, comme si mon conjoint était mort pour rien, un peu comme écrasé, sali… », dit Huguette Bourgeois, la veuve de l’un d’eux. L’évènement a provoqué des séquelles incommensurables dans la communauté tissée serrée des Madelinots: dépression, burn out, voire suicide et désertion des Îles pour fuir l’opprobre.
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LE NADINE… On a accusé les morts raconte à la manière d’un polar une histoire vraie des Îles-de-la-Madeleine, loin de la vision carte postale que nous en avons tous. Reconnu pour son audace et sa sensibilité, le réalisateur Richard Lavoie veut rendre justice, réhabiliter la réputation de ces marins pêcheurs aux yeux de leurs familles et de leur communauté. Éveilleur de conscience, il a entrepris il y a plus de 25 ans la collecte des données qui lui permettent de se commettre une fois de plus.