Le naufrage du <i>Nadine</i> vu par les survivants

Le naufrage du Nadine vu par les survivants

Article
JournalisteDominique Jutras
JournalLe Radar
Date9 juin 2020

LE NADINE… ON A ACCUSÉ LES MORTS

Les organisateurs du colloque ont présenté le film afin de souligner le 30e anniversaire du naufrage et sensibiliser les pêcheurs et l’industrie aux enjeux de sécurité, en revenant sur le rapport du coroner et du Bureau des transports du Québec (BST).

Le documentaire « Le Nadine… on a accusé les morts », présenté en avant-première le 5 février à Rimouski dans le cadre du colloque sur la sécurité à bord des bateaux de pêche, a suscité de vives réactions parmi les pêcheurs.

Considéré comme la pire catastrophe maritime de l’histoire des Îles de la Madeleine, le naufrage du chalutier de Madelipêche, survenu en 1990, quelques jours avant Noël au large de la Grande-Entrée, emporta la vie de huit des dix membres d’équipage.

« On voulait démontrer l’évolution des mesures de sécurité à bord des bateaux de pêche depuis le naufrage du Nadine, à aujourd’hui, quelles sont les améliorations, comment le personnel est formé à bord, quel est le travail accompli.

À l’époque du Nadine, peu importe le navire de pêche qui opérait au Québec, c’était sensiblement la même chose ; on faisait moins attention à ça. Il y a des choses qu’on a vues à bord du Nadine qui ne se reproduiraient plus aujourd’hui », dit Marc Doucet, coorganisateur du colloque et président du comité permanent de la sécurité à bord des bateaux de pêche du Québec.

Le film de Richard Lavoie donne la parole, pour la première fois, aux personnes touchées de près par cette tragédie, dont les veuves et les deux seuls survivants, le capitaine, Robert Poirier, et son frère Serge. « Les marins présents au colloque ont vécu le drame à travers les survivants. Robert Poirier a passé neuf heures dans l’eau avec deux cadavres accrochés après lui ; c’était très fort, les réactions », dit le cinéaste.

M. Lavoie a précisé que dans ce contexte-là, il était pertinent de le présenter. Âgé de 82 ans, ce dernier a réalisé une centaine de films, dont 5 aux Îles de la Madeleine. Descendant des Îles, il a toujours été proche de la famille Bourgeois qui a perdu trois membres dans le naufrage. « J’ai filmé dans l’épave du Nadine en 1994, avec Guy Bourgeois, un des marins qui a travaillé à bord. J’ai eu plein de renseignements sur les conditions de travail, entre autres. Tout naturellement, l’idée m’est venue de faire un film qui éclaire les gens sur cette tragédie-là. »

« Dans le film, on se rend compte qu’à l’époque, les gens ne s’entraînaient pas à enfiler les habits de survie ; souvent, ils étaient mal entretenus,c’est ce que le coroner a rapporté. La majorité de l’équipage n’a pas été capable d’enfiler son habit correctement, ce qui fait que la plupart d’entre eux sont morts d’hypothermie », dit Valérie Lavoie, assistante à la réalisation et fille du cinéaste.

Le documentaire lève aussi le voile sur l’omerta entourant ce drame qui a laissé des marques très profondes dans la communauté madelinienne. Aux dires du cinéaste et de sa fille, le film est comme une catharsis ; « Ça fait 30 ans que Robert porte ce fardeau-là sur ses épaules. On a accusé les morts ; c’est la phrase du capitaine. Non seulement, il est dur de survivre à ses marins et à son bateau détruit, mais de plus, on l’a accusé, lui et son équipage, d’avoir commis des négligences qui avaient causé le naufrage.

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Quand vous verrez le film, vous allez comprendre. On ne peut pas garder pour soi aussi longtemps le secret sans en être psychologiquement affecté. À un moment donné, il faut se libérer de ça ; c’est une démarche qui est libératrice », dit Richard Lavoie.

Marc Doucet dit avoir beaucoup de respect pour cet homme, « tous les efforts qu’il a faits, il s’est comporté en vrai capitaine. J’ai lu le rapport d’enquête et il y a encore beaucoup de choses qui sont nébuleuses. Il n’y a pas une autre personne sur la terre qui aurait été capable de faire mieux que ce qu’il a fait dans les circonstances. On est tous des capitaines de navire, on a tous des familles à la maison, une entreprise à faire rouler ; peu importe, on ne peut pas rester indifférents au décès de ces gens-là.

Ça vient nous chercher ; on se reconnaît tous là-dedans… » Le capitaine, Robert Poirier, qui était présent au colloque, se dit satisfait du film. Il a pris la parole devant plus de 200 personnes pour parler de son expérience. Son témoignage a suscité beaucoup d’émotion parmi les pêcheurs. Il est à terminer l’écriture de ses mémoires qu’il compte publier prochainement. Le film sera présenté en première au mois d’avril aux Iles de la Madeleine.