Un nouvel éclairage sur les causes du naufrage
C’est dans une ambiance chargée d’émotion que le film Le Nadine…on a accusé les morts, réalisé par Richard Lavoie, a été présenté en avant-première, le 25 juin au cinéma Cyrco, devant une cinquantaine de personnes, dont les proches et les deux survivants du naufrage survenu il y a 30 ans.
Le 16 décembre 1990, le chalutier Le Nadine, propriété de l’entreprise Madelipêche, sombre en pleine nuit à 10 milles nautiques de Grande-Entrée, entraînant dans la mort 8 de ses 10 membres d’équipage. Une tragédie collective qui a laissé une profonde cicatrice dans la petite communauté des Îles de la Madeleine, mais aussi beaucoup de questions sans réponses sur les causes réelles du naufrage.
Le film, qui a pris plusieurs années à réaliser, se veut, pour le cinéaste de Québec, une façon de réhabiliter la mémoire de ces pêcheurs aux yeux de leurs proches et de la population des Îles.
Petit-fils de Madelinot, Lavoie a déjà tourné quelques documentaires aux Îles. Sa fille, Valérie, qui a collaboré au film, était présente à l’événement, tandis que son père s’est adressé à l’auditoire en direct sur écran géant avant la projection.
« J’aurais aimé être avec vous, je suis très honoré que vous m’ayez permis de faire ce film. Vous avez mis tout votre cœur là-dedans. Le film est une tentative pour essayer d’y voir plus clair dans les circonstances qui ont mené au naufrage du Nadine. »
Ce dernier réussit à travers son film à confronter la responsabilité individuelle et la responsabilité de l’entreprise Madelipêche, particulièrement la négligence dans la maintenance du navire et l’absence d’un système de détection d’eau dans la cale.
Grâce aux témoignages des survivants, des veuves et des travailleurs à l’emploi de Madelipêche au moment du drame, le film fait œuvre utile en libérant la parole et lève le voile sur la séquence des événements qui ont mené à la tragédie. Les récits émouvants du capitaine Robert Poirier, âgé aujourd’hui de 72 ans, et de son frère Serge, révèlent toute la souffrance qu’ils portent en eux et toute la résilience qu’il leur a fallu pour survivre à cette épreuve.
Projeté dans les eaux glaciales en pleine tempête, le capitaine a été repêché par un capitaine de TerreNeuve après avoir dérivé pendant près de 9 heures sur 11 milles marins (20 km), tenant les cadavres de deux membres de son équipage, soit Augustin Vigneau et son gendre Émile Poirier.
Père de quatre enfants, dont deux fils pêcheurs, Robert Poirier soutient qu’on a tout fait pour faire retomber sur l’équipage la responsabilité du naufrage du Nadine. « On m’a même fait comprendre que je n’aurais pas dû survivre, qu’un capitaine ça coule avec son navire. »
Il mentionne que même après 30 ans, c’est comme si c’était hier. « C’est quelque chose qui te reste dans les tripes, ce n’est pas de quoi que tu oublies. Je tiens à ce que la vérité sorte et que mon équipage soit blanchi des accusations qui ont été portées contre eux, dans deux enquêtes biaisées, dont celle du ministère des transports (BST). »
À l’époque, le Bureau de la sécurité des transports (BST) avait conclu que plusieurs ouvertures sur le pont arrière du Nadine n’avaient pas été fermées hermétiquement, malgré le mauvais temps, ce qui aurait contribué à déstabiliser le chalutier de 40 mètres et entraîner sa perte. Mais beaucoup de fautes techniques ont été rapportées dans l’enquête du coroner, Jacques Bérubé, qui parle dans le film. Celui-ci avait d’ailleurs déploré dans son rapport les conditions de travail à bord du Nadine, qu’il avait jugé inacceptables.
Le documentaire présente toute l’indignation et la frustration des veuves dont les maris ont été accusés injustement et de cette loi du silence qui s’est installée suite au naufrage. « Jamais personne nous avait donné la parole, le seul qu’il l’a fait, c’est Richard Lavoie. On voulait s’exprimer, on l’avait jamais fait, il a toujours fallu garder ça en dedans. Ce qu’on garde en dedans et qu’on ne peut pas dire, ça rend malade », dit Marjolaine Bourgeois, la veuve d’Augustin Vigneau.
Comme toutes les veuves du Nadine, Marjolaine s’est exilée après la tragédie avec ses deux enfants, alors âgés de 5 et 8 ans. « Ma sœur, Huguette, et ma belle-sœur, Adrienne Martinet, ont aussi perdu leur conjoint sur le Nadine. Si j’ai pu enterrer mon mari, c’est grâce à Robert Poirier. Il l’a jamais lâché, il l’a toujours gardé dans ses bras à partir du soir jusqu’à ce que M. Duguay le
ramasse le lendemain matin vers 8 h. Il y a eu tellement de dommages collatéraux dans cette histoire. La femme de Jacquelin Miousse s’est suicidée, laissant ses deux petites filles orphelines. J’ai fait une grosse dépression, j’ai pensé au suicide pendant des mois, on nous a laissé à nous-mêmes, comme des bouées flottantes… »
Elle dénonce le traitement qu’on a fait subir à Robert Poirier lors de l’enquête du coroner, à laquelle elle a assisté au Palais de justice de HavreAubert. « On l’a bafoué, rien de moins